Chapitre 5 / Niveaux structuraux et stades de l'Histoire Naturelle

Théorie dialectique de l’évolution

 

«Pour savoir de façon réellement complète ce que c’est que la vie, il nous faut passer en revue toutes les formes sous lesquelles elle se manifeste, de la plus inférieure à la plus élevée »; «La science de la nature en est actuellement arrivée au point de ne plus pouvoir échapper à la synthèse dialectique » Engels (Anti-Dühring)

 

On retrouve les lois de la dialectique de façon dispersée à travers les « camps » du champ de bataille scientifique, mais cette « synthèse dialectique » qu’Engels appelait de ses vœux ne semble pas imminente. A ce stade, constatons simplement que, si le matérialisme est la posture nécessaire des savants dans l’exercice de leur pratique scientifique, l’approche dialectique semble de surcroît fonctionner dans cette pratique, puisqu’elle émerge – certes inconsciemment – au moins spontanément à plusieurs niveaux contre les courants plus ou moins raffinés de l’idéalisme néodarwinien. Tentons donc à présent d’élaborer notre synthèse. Nous disposons à cette fin, 1) des thèses philosophiques du matérialisme dialectique, 2) des données contemporaines de la biologie.

 

 

Thèse 1 : La matière existe objectivement.

Thèse 2 : On ne peut réduire la matière à une de ses formes (Holisme).

Thèse 3 : La matière est « une » (Monisme) : Il n’y a qu’un monde.

Thèse 4 : La qualité est ce qui distingue une chose d’une autre.

Thèse 5 : La vie répond à un seul principe organisateur ; la matière (anti-vitalisme).

Loi dialectique A (Mouvement dialectique) :

Thèse 6.a : La manière d’être de la matière est le mouvement.

Thèse 6.b : Ce mouvement auto-dynamique nécessaire ne peut être qu’accéléré ou ralenti.

Thèse 6.c : Il est un processus dirigé ( non-cyclique).

Loi dialectique B (Actions réciproques) :

Thèse 7.a : L’univers est un tout complexe organisé.

Thèse 7.b : Ses aspects sont interdépendants.

Thèse 7.c : On entend par mouvement nécessaire celui qui est l’effet d’une cause.

Loi dialectique C (Contradiction) :

Thèse 8.a : La contradiction est la lutte et l’unité des contraires.

Thèse 8.b : Un mouvement auto-dynamique a pour moteur(s) une (des) contradiction(s) principale / secondaire(s).

Thèse 8.c : Une contradiction peut être antagoniste [thèse 9.b] ou non-antagoniste.

Loi dialectique D (Quantité/Qualité) :

Thèse 9.a : Le mouvement transforme la matière de l’inférieur au supérieur, du simple au complexe.

Thèse 9.b : Une contradiction antagoniste provoque au terme d’une accumulation quantitative, un saut qualitatif, dépassement de cette accumulation.

 

Rappelons pour éviter certains contresens que les anticommunistes instrumentalisent si complaisamment, que cette synthèse n’a pas la prétention de cristalliser la recherche pour le reste des temps; elle se limitera au contraire à deux niveaux : 1) Au niveau pratique, il s’agit d’une construction strictement fondée sur les données actuelles, donc sujette à modifications, améliorations et corrections[1]. 2) Au niveau théorique, cette construction est un instrument dirigé contre l’idéalisme, destiné à le déloger des positions qu’il occupe actuellement sur la question de l’évolution biologique…L’exposition des thèses matérialistes dialectiques nécessaires à cette étude servira de base conceptuelle préalable : Leur efficacité sera évaluée pas à pas au cours de la construction –l’étude n’ayant pas non plus pour but de « prouver » rétrospectivement ces thèses-.

Une définition de la vie requiert l’éclaircissement de l’apparente opposition entre les thèses 2 et 4 dans le contexte de notre étude : L’être vivant est manifestement une chose qui se distingue qualitativement de son environnement [thèse 4], mais l’être vivant et son environnement sont indissociables [thèse 2], la preuve en est que l’être vivant est une structure matérielle qui renouvelle en permanence ses molécules constitutives (fonction de nutrition) à partir de la matière environnante, tandis que l’environnement est lui même transformé par l’être vivant. Pas d’opposition, à condition de qualifier ce qui distingue ces deux matières. L’expression matière vivante n’aura pas un sens vitaliste (matière d’essence différente du reste de la matière) mais visera justement à ne pas désigner la vie sous le terme structure organisée avant d’en avoir fourni une définition argumentée. S’il est permis de distinguer des qualités dans la matière, ne serait-ce que pour montrer les interactions nécessaires entre ces qualités [thèse 7.b], distinguons matière vivante et matière non-vivante et tentons une définition claire de leur distinction.

D’abord, que la matière vivante soit une structure organisée, complexe est une évidence : Encore faut-il préciser la légitimité des termes « organisé » ou « complexe ». Ces qualités ne sont pas spécifiques à la vie (pour un matérialiste évidemment[2]). Le mouvement, qualité fondamentale de la matière [thèse 6.a] est la manière d’être de toute matière, vivante ou non. Jusqu’ici, aucune distinction dialectique apparente.

Venons-en donc à ce qui distingue spécifiquement la matière vivante de la matière non vivante : C’est une évidence, un être vivant renouvelle sa matière en permanence sans changer sa qualité d’être vivant (jusqu’à un certain point) ;

 

Ce qui distingue la matière vivante de la matière non vivante, c’est la tendance qu’elle manifeste à  conserver  sa  structure dans le temps.

 

Opposition apparente : Si la matière vivante est « stable », dans sa structure, elle déroge à la thèse 6.a, thèse fondamentale de la dialectique. Une explication s’impose : La vie répond à un seul principe organisateur, la matière [thèse 5]. Sa matière est organisée [thèse 7.a]. Juxtaposons la proposition irritante et la thèse 6.a : Le mouvement interne de la matière vivante modifie nécessairement sa structure. Cette désorganisation nécessaire peut-être freinée [thèse 6.b] par un « processus conservateur »  apparaissant  donc  comme   une  ré-action,  un  mouvement   s’opposant,  corrigeant  en permanence le mouvement désorganisateur. Ceci ne contrarie plus la thèse 6.a. Remarque : il n’est pas dit ici qu’un mouvement désorganisateur est un mouvement « destructeur », au sens où on l’entend généralement ; Voici donc une proposition non-finaliste, non-mécaniste, n’orientant pas plus la désorganisation vers la destruction que vers la construction.

Pour être tout à fait clair et éviter d’ouvrir le flanc au vitalisme, nous dirons que, 1) ce qui dans la matière en mouvement est doté d’une propriété supplémentaire[3] qui est de tendre à une « conservation » structurale sera appelé « matière vivante »[4], 2) La question de l’origine de cette propriété doit être traitée dans le cadre de la thermodynamique, émanant du principe de néguentropie qui établie la possibilité d’organisation spontanée d’un système au détriment du reste de l’univers conditionné par le principe entropique : N’est-il pas finaliste d’affirmer que ce mouvement, étendu potentiellement à toute la matière, produise toutes les structures possibles sauf celle qui aurait pour propriété particulière de se conserver activement ? 3) Cette tendance à conserver sa propre structure dans le temps, dans la mesure où elle aboutit –et nous sommes forcés de constater qu’elle a objectivement abouti [thèse 1]-, conduit à la nécessité d’une histoire de la matière vivante ; l’histoire de la lutte pour l’existence.

Commençons donc l’exposé par un postulat simple issu d’observations universellement reconnues ; La forme de vie la plus simple[5] est la cellule [thèse 9.a]. La cellule sera considérée distinctement de son environnement quel qu’il soit ; eau, air,  reste d’un organisme pluricellulaire, etc., de façon à mieux cerner leurs interactions : D’un côté la matière environnante, en mouvement, « agissant » par son mouvement sur la cellule de l’extérieur, et transformée plus ou moins intensément par cette cellule, de l’autre la cellule elle-même, organisée, en mouvement : « luttant » contre le mouvement externe et le mouvement interne à la fois, suivant la proposition formulée précédemment.


[1] « L’expérience fournie par l’usage social de la technique [est] la source vive où s’alimente chaque jour la science marxiste, et qui doit modifier sans cesse la forme du matérialisme » disait Engels

[2] Certains vitalistes n’hésitent pas à qualifier la Terre d’être vivant, pour citer un épisode récent dans le champs de la science . C’est l’ « Hypothèse Gaïa » de Lovelock (1970), affectionnée par nos « anti-vitalistes » Kupiec et Sonigo !

 

[3] La génération spontanée, c’est à dire l’acquisition ponctuelle mais nécessairement conservée de cette propriété conservatrice de la matière, a résulté de la conjonction de conditions matérielles particulières réunies à un moment donné de l’histoire de la Terre, avant que celles ci ne se désunissent du fait même des transformations environnementales causées par le développement de la vie. On peut dès lors considérer que l’apparition de cette propriété résulte d’un saut qualitatif dépassant une contradiction (mouvement auto-réplicatif spontané de certaines molécules pré biotiques grâce et malgré le mouvement des autres molécules) et non d’une opération aléatoire (émergentisme vitaliste) ou téléologique (finalisme vitaliste).

[4] Et non simplement « être vivant » : Une population elle même, qui lutte globalement pour son existence répondra au terme matière vivante, sans avoir pour autant une « essence » idéale.

[5] Il ne fait aucun doute que toute cellule est hautement complexe ; admettons simplement qu’un être pluricellulaire est par la force des choses plus complexe que l’une de ses cellules.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :