Chapitre 3 / La constellation des anti-darwiniens

Histoire et coexistence actuelle de treize courants

 

« La nature est la pierre d’essai de la dialectique, et il faut dire que les sciences modernes de la nature ont fourni pour cet essai des matériaux extrêmement riches et dont la masse augmente tous les jours, et qu’elles ont ainsi prouvé qu’en dernière instance la nature procède dialectiquement et non métaphysiquement. Pourtant l’on compte jusqu’à présent les savants qui ont appris à penser dialectiquement ; et ce conflit entre les résultats acquis et la méthode de raisonnement traditionnelle explique la confusion infinie qui règne dans la théorie des sciences naturelles, et qui met au désespoir maîtres et élèves, écrivains et lecteurs. » 
Engels, Anti-Dühring
 


Nier le caractère scientifique du matérialisme historique de Marx, c’est accuser du même coup Darwin, dont la théorie tente d’expliquer l’histoire de la vie, d’anti-scientificité. Selon l’adage de l’épistémologue anarchiste Karl Popper, n’est scientifique que ce qui peut être réfuté par l’expérience. Par l’essence historique de leur champ d’investigation, Darwin comme Marx sont frappés du péché d’infalsifiabilité !

A l’extrême naïveté de ce philosophe jadis très en vogue au moment du bouleversement métaphysique du néo-positivisme, la majorité des épistémologues préfère aujourd’hui la position jugée plus sérieuse de son contemporain Thomas Kuhn. Enfermé dans l’inconséquence de son subjectivisme, « Lorsque Popper prit conscience de l’importance de la biologie, et qu’il adopta une position objectiviste (« réalisme évolutionniste » 1972) il chargea la sélection naturelle de décider quelle théorie est viable, c’est à dire adaptée aux faits. (…) L’évolution scientifique, comme l’évolution tout court (biologique) se fait par essais et erreurs. » (A. Fagot-Largeault, Histoire des sciences tome 1). Auto-discrédité par ces dernières positions, Popper n’est plus idolâtré que par quelques théologiens (voir par exemple Henri De Wit, Histoire de la Biologie) ; Ces derniers ont en effet tout à gagner en faisant leur une théorie aussi radicalement métaphysique !

Si l’Homme n’a pas prise objectivement sur la matière comme l’affirment les marxistes, le progrès scientifique ne peut s’appuyer que sur une « sélection naturelle » des idées à distinguer de l’arbitrage de la pratique. Depuis Kant, cette médiocre conclusion criticiste appartient autant à Popper qu’à Spencer, Haeckel, Monod, Mayr et Kuhn lui-même… Qu’on soit pro- ou anti-darwinien, on finit toujours par adopter, faute de mieux, ce fameux « sélectionnisme des idées ». Telle est la duplicité théorique du découvreur de l’Origine des espèces : Sa position matérialiste ne peut se départir seule d’une orientation théorique qui séduit a priori le philosophe idéaliste conséquent. Patrick Tort rappelle : « A Virchow pour qui le darwinisme conduit dangereusement à la subversion socialiste, Haeckel répond qu’il protège efficacement contre le chimérique égalitarisme socialiste » (Dictionnaire du Darwinisme et de l’Evolution).

Or, il se trouve que ce sélectionnisme des idées ne décrit en rien l’état actuel du débat opposant les différentes théories de l’évolution : Tandis que les néo-darwiniens martèlent en toute occasion que Weismann a mis un point final aux élucubrations lamarckiennes, nous sommes forcés de constater que plus d’un siècle après la mort de ce « héros » de la génétique, Lamarck n’a toujours pas déserté la scène…

A vrai dire, du fixisme de Cuvier (XIXe) à la nouvelle synthèse « évo-dévo » (XXIe), tous les courants historiques (à l’exception du lyssenkisme !) trouvent aujourd’hui encore d’ardents défenseurs, malgré cette abstraite « sélection naturelle » des théories.

Point par point, nous verrons finalement que toute théorie évolutionniste se résume à l’exploitation métaphysique plus ou moins réactionnaire d’un noyau scientifique authentiquement mais partiellement dialectique. Sur cet éventail juxtaposant les théories selon leurs affinités ou leurs antagonismes, la théorie synthétique se détourne d’une arrière-garde réactionnaire pour se déplacer, suivant un itinéraire que nous indiquerons, vers une avant-garde tout aussi bourgeoise, incarnée dans ses termes ultimes par Kupiec et Sonigo.

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